La conscience de la situation

L’antichambre de la prise de décision

La chirurgie robotique est un art qui se pratique à 4 mains. Il parait impensable qu’un chirurgien soit aux commandes du robot sans avoir un assistant aux côtés du patient. Et pourtant…

“Il y a un problème… je n’ai plus rien !”

L’opération s’avère d’un niveau de difficulté relativement faible, les gestes connus et le patient sans complications. Les dialogues au bloc demeurent succincts, les paroles de l’un n’engageant pas souvent de réponse de la part de l’autre.

“Il y a un problème… je n’ai plus rien !”. L’annonce soudaine de l’assistant vient perturber la quiétude du bloc. Son écran de monitoring vient subitement de s’éteindre. “Moi non plus je n’ai plus rien !” rétorque le chirurgien, la tête dans sa console.

 

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Comprenant que l’ensemble du système caméra est défaillant, l’assistant se dirige vers le chariot vidéo afin de tenter de résorber cette panne. Le chirurgien, curieusement, n’a toujours pas sorti sa tête de la console, et poursuit même le pilotage du robot.

Cette situation burlesque se poursuit durant 4 minutes 30, jusqu’à ce que l’équipe se rende compte qu’elle est dangereusement scindée.

Are you aware ?

Le modèle de la conscience de la situation, ou Situation Awareness, défini par Endsley¹ en 1995, peut nous aiguiller dans la compréhension de cet évènement.

 

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Selon ce modèle, l’étape initiale d’analyse d’une situation consiste en la perception de notre environnement au travers de nos 5 sens. Les informations ainsi reçues sont ensuite comprises, puis nous les projetons un état futur. L’ensemble de ces 3 étapes constitue la conscience de la situation. Il s’agit donc d’un processus dynamique prenant sa source dans l’état de l’environnement présent, dont les éléments sont passés la moulinette cognitive et dont l’évolution probable est déterminée. Ces informations nourrissent notre processus décisionnel, qui guide nos actions.

So what ?

Dans l’idéal, cette boucle itérative ne conduit qu’à des situations optimales. Notre équipe chirurgicale n’aurait pas du se scinder. Le problème est que cette boucle vertueuse est sensible à des influences tant internes qu’environnementales :

  • La perception visuelle du chirurgien est limitée aux quelques cm³ de sa zone d’intervention chirurgicale
  • La perception auditive des 2 membres de l’équipe se trouve affaiblie par des communications parcellaires peu robustes et non sécurisées²

Ces perceptions limitées génèrent des incompréhensions entre le chirurgien et son assistant, et donc une projection dans un état futur non conforme. Les décisions et actions résultantes ne peuvent alors qu’être inadaptées.

Mais au fait, que s’est-il passé ?

Lorsque l’assistant annonce “Il y a un problème… je n’ai plus rien !”, il veut signifier qu’il n’a plus de vidéo sur son poste de monitoring. Le chirurgien a également un “problème” (extinction brève de sa vidéo),  puis également “plus rien” (le problème a disparu). Il répond donc “Moi non plus je n’ai plus rien !”, voulant dire qu’il n’y a plus de problème. Il peut donc poursuivre son opération.

Incroyable ? Mais vrai.

Fort heureusement, cet événement a eu lieu lors d’un atelier de “robotic surgical training”, à école de chirurgie de Nancy. Un des superviseurs de la session avait discrètement déconnecté le moniteur vidéo utilisé par l’assistant. Le débranchement de ce câble a eu pour effet secondaire de provoquer une microcoupure du retour vidéo de la console du chirurgien.

Durant le débriefing de cette séance de Medical Team Training, le chirurgien a pris conscience qu’il est nécessaire de sortir la tête de sa console lorsqu’un élément inattendu survient au bloc. Cette équipe a également décidé d’adopter désormais une communication dite “sécurisée”, ne laissant plus de place au doute.

Être conscient qu’on a des limites de perception, de compréhension ou de projection dans le futur est essentiel pour générer des stratégies nous permettant de retrouver un niveau de conscience de la situation satisfaisant.

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¹ : Mica R. Endsley, “Toward a Theory of Situation Awareness in Dynamic Systems”, Human Factors and Ergonomics Society, 1995, 37(1), 32-64

² : Nous analyserons prochainement les méthodes de communication sécurisée.